N'ENSEIGNAIT-T-ON QUE LE FRANÇAIS A L'ECOLE COLONIALE ?
Gérard Vigner  1@  
1 : Education nationale
Ministère de l'Education Nationale

Les premiers moments de mise en place d'une école à destination des enfants indigènes dans les colonies correspondent, approximativement, à la période d'instauration en métropole de l'école républicaine voulue par Jules Ferry, école dont le français était la langue exclusive d'enseignement (même si dans le texte des programmes de 1882 cette obligation n'a jamais été formulée en tant que telle). Et par un simple processus d'assimilation, on a pu croire que le souci d'imposer la langue du colonisateur dans tous les territoires de l'empire s'affirma identiquement. Or dans de nombreux débats, notamment ceux développés à l'occasion du Congrès colonial international tenu en 1889 à Paris[1], on peut constater aisément qu'il n'y avait nulle unanimité en la matière . L'instauration des bases institutionnelles d'un système scolaire colonial, organisé d'ailleurs selon des schémas variés dépendant du statut des territoires, ne s'est nullement traduite par un exclusivisme dont le seul français aurait tiré parti. Bien plus tard, les propos tenus par L.J. Calvet dans son ouvrage Linguistique et colonialisme[2]. Petit traité de glottophagie (Payot, 1979), contribuèrent, sur un malentendu, à concevoir cette politique coloniale comme entreprise visant à faire disparaître les langues vernaculaires des territoires considérés (voir Marie Salaün ,128)[3]. Or l'école coloniale ne fit disparaître aucune des langues présentes dans les territoires où elle s'implantait, et hormis quelques cas particuliers que nous évoquerons, elle s'attacha à maintenir l'enseignement d'un certain nombre d'entre elles, notamment les langues qui s‘appuyaient sur une culture écrite souvent ancienne, pensons ici à l'arabe en Afrique du nord (voir ainsi en Tunisie l'action conduite par Louis Machuel [4] ) et en Afrique noire dans les medersas et dans l'enseignement franco-arabe, pour partie au malgache à Madagascar, ou au coq ngu ou au cambodgien en Indochine . Nous entreprendrons ici une revue des langues enseignées dans les écoles coloniales, dans lesquelles nous incluons les écoles missionnaires (voir par exemple les actions engagées par la Société des Missions Evangéliques de Paris), territoire par territoire, du Maghreb aux territoires du Pacifique pour disposer d'une vision d'ensemble des politiques linguistiques ainsi mises en œuvre et nous interroger sur les raisons de cette mise en retrait partielle du français.

 


[1] Ainsi des interventions de Gustave Le Bon au Congrès colonial international de Paris, en 1889, séance du 31 juillet, ainsi que celle de Maurice Wahl. Paris, éd. Augustin Challamel ; plus tard celle de Léopold de Saussure à l'occasion Congrès international de sociologie coloniale tenu à Paris du 6 au 11 août 1900 « Moyens auxquels il convient d'avoir recours pour élever le niveau intellectuel et moral des populations indigènes », pp. 141-156, Paris, Arthur Rousseau.

[2] Calvet, Louis-Jean (1974) Linguistique et colonialisme. Petit traité de glottophagie, Payot, repris et commenté dans « Linguistique et colonialisme, 1974-2012 », un entretien avec Louis-Jean Calvet, in Glottopol, 20, 2012

[3] Salaün Marie (2010), « Un colonialisme glottophage ? L'enseignement de la langue française dans les écoles indigènes en Nouvelle-Calédonie (1863-1945) », Histoire de l'Education, 128.

[4] Yoshiko Sugiyama, Sur les mêmes bancs d'école : Louis Machuel et la rencontre franco-arabe en Tunisie, lors du Protectorat français (1883-1908), ANRT, 2007.


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