Si l'adaptation paraît avoir toujours été le maître-mot de la politique scolaire française en situation coloniale et extra-coloniale (via son réseau d'écoles françaises dispersées dans le monde), cette injonction à l'adaptation des méthodes d'enseignement ne relève pas seulement de stratégies éducatives, mais bien également de stratégies géopolitiques finement calculées. Dans les années 1960, les établissements scolaires français s'ouvrent largement aux langues indigènes : khmer, lao, arabe classique... À Rabat, à Tunis, dans l'ancienne Indochine, plusieurs sections spécialisées voient ainsi le jour. On passe de la formule du lycée français à celle du lycée franco-étranger. Les programmes ne sont pas en reste, avec la création de commissions chargées, comme à Madagascar, d'adapter l'enseignement de l'histoire et de la géographie. Quant au Bureau d'Étude et de Liaison pour l'Enseignement du français dans le monde (BEL), fondé en 1959, il met sur pied une série de manuels de français adaptés, pays par pays.
Mais de quoi cette ouverture est-elle le nom ? Si, en 1900, la langue française sert essentiellement d'instrument de domination coloniale[1], les priorités, 60 ans plus tard, ont évidemment changé : la France a perdu la place qu'elle occupait naguère, et au lendemain de l'humiliation de 1940 comme du camouflet de Suez (1956), rien ne paraît plus urgent à certains acteurs de la diplomatie culturelle française que de prôner une francophonie de dialogue :
« On n'empêchera pas les langues africaines de survivre en Afrique ; et c'est à leur survie et à leur enrichissement, et non pas à leur destruction, qu'il faut s'employer. Parce que c'est la justice. Et parce que c'est la meilleure façon de préserver à long terme, la place royale du français dans ce continent d'avenir. »[2]
Apôtre d'un trilinguisme pour l'Afrique, passant par la connaissance de sa langue maternelle, de l'anglais et du français, Marc Blancpain, secrétaire général de l'Alliance française depuis 1944, témoigne ici d'un certain pragmatisme français à l'heure post-coloniale. Il s'agit désormais moins d'établir un monopole du français que de cultiver, comme le dit encore M. Blancpain (1966), l'honorable seconde place de cette langue. Le temps semble passé de la seule compétition linguistique ; de plus en plus, s'impose l'idée – dans le contexte de la coopération – d'une complémentarité entre l'ancienne langue coloniale et les langues indigènes. Dès lors, l'adaptation linguistique et scolaire que porte le discours institutionnel s'affirme largement comme une question non seulement politique, mais aussi éminemment géopolitique.