Au Bénin, pays à fort plurilinguisme sociétal, où se côtoient et s'entremêlent une soixantaine de langues nationales, dont le décompte et les catégorisations concurrentes (« langues », « parlers ») constituent un enjeu social et politique (Ligan, 2021), où le sentiment épilinguistique des locuteurs ne rencontre pas le jugement des linguistes, les débats glottopolitiques conduisent l'école à une impasse, l'enfermant dans un paradigme postcolonial figé. Pourtant, le français, langue officielle depuis l'indépendance, est, plus de soixante ans plus tard, l'objet de discours postcoloniaux circulants qui engagent à sa mise en cause comme langue de scolarisation, au moins dans l'éducation de base, selon des positionnements variés. S'il est largement admis parmi les didacticiens et les sociolinguistes du développement que, sans en être l'unique facteur (Fandy, Vigouroux, 2019 ; Bouveau et al., 2020), l'usage exclusif d'une langue qui n'est pas ou qui est peu parlée en famille, comme c'est largement le cas du français au Bénin, compromet les apprentissages de la plupart des enfants, l'alphabétisation, voire le développement des populations (Tourneux, 2011 ; Zouogbo, 2020), le principe plus ou moins régulièrement affirmé par différentes instances de l'éducation d'un enseignement de base en « langues nationales » (gouvernements, linguistes...) achoppe sur une idéologie monolingue et mononormative de l'école, héritée de la colonisation française et de la politique scolaire de l'AOF (Garcia, 1971), et sur l'absence de consensus concernant les langues pouvant jouer le rôle de langues de scolarisation (Djihouessi, da Cruz, 2014). Toutes les tentatives en ce sens se sont soldées par un échec (Adjeran, 2020).
Ce qui est étonnant c'est que l'école semble particulièrement hermétique à ces débats, comme aux répertoires langagiers plurilingues de la population, riches de plusieurs langues et variétés, dès le plus jeune âge, et aux pratiques translingues généralisées (Leconte, à paraître). L'idéologie langagière héritée de l'école coloniale (recours exclusif à la langue du colonisateur, dans sa norme standardisée scolaire française) reste la norme, faisant de l'école un lieu propice aux idéologies et représentations diglossiques (jeux de minoration / domination langagière – Lafont, 1997 [1984] ; Auger, 2021) que cristallise le statut de langue de scolarisation du français (Coste, Akkari, 2015).
Nous examinerons comment s'exprime cette idéologie diglossique postcoloniale, héritée, à travers les discours d'acteurs du monde éducatif béninois, afin d'examiner l'étanchéité entre deux mondes : le dehors et le dedans de l'école. Exprimés dans des instructions officielles, spontanément délivrés par des acteurs de l'éducation ou sollicités par nos soins lors d'entretiens semi-directifs, ils ont été relevés dans le cours d'une formation et recherche collaboratives de sensibilisation au plurilinguisme scolaire – projet PEBS (Troncy, Boko Vou, Udoh, 2023, qui s'est déroulée sur plus d'une année (2021-2022), en association entre une enseignante-chercheuse française et un groupe de formateurs béninois, eux-mêmes chargés d'élaborer une formation destinée à différents acteurs du monde éducatif.
Références bibliographiques
Adjeran, Moufoutaou. 2020. Politique linguistique au Bénin pour une contribution au développement national. In Agresti G., Le lièvre F. (coord.), Langues, linguistique et développement en milieu francophone. Des terrains africains, Repères-Dorif 21, Roma, settembre 2020. En ligne : https://www.dorif.it/reperes/category/21-langues-linguistique-et-developpement-en-milieu-francophone-des-terrains-africains/
Auger, Nathalie, 2021. « La présence de la langue française dans le monde : enjeux des représentations », in Chiss J.-L. (dir.), Le FLE et la francophonie dans le monde. Paris : A. Colin : 81-113.
Coste, D., Akkari, A. (dir.). 2015. Les langues d'enseignement, un enjeu politique. Revue internationale d'éducation de Sèvres 70.
Djihouessi, Blaise Coovi ; da Cruz, Maxime, 2014. Choix des langues de scolarisation en contexte multiculturel : cas de l'Afrique francophone. Revue du Cames « Littératures, langues et linguistique », Vo. 2, n°1 : 1-13.
Fandy Cosme Zinsou, Vigououx Cécile, 2019. « L'initiative ELAN et l'enseignement des langues africaines : un nécessité ou une chimère ? », in Puren, L., Maurer, B. (dir.). La crise de l'apprentissage en Afrique francophone subsaharienne. Regards croisés sur la didactique des langues et les pratiques enseignantes. Bruxelles : Peter Lang : 317-337.
Garcia Luc, 1971. «L'organisation de l'instruction publique au Dahomey, 1894-1920 », Cahiers d'études africaines, Année 1971, n°41 : 59-100.
Lafon Robert, 1997 [1984], Pour retrousser la diglossie, Quarante ans de sociolinguistique à la périphérie. Paris, L'Harmattan : 91-122.
Leconte, Fabienne. A paraître. « Analyser les dynamiques linguistiques au Bénin. Retour sur une recherche collaborative ».
Ligan Charles Dossou, 2021. « L'exercice des droits linguistiques dans les secteurs de la justice et de l'éduction au Bénin : enjeux et perspectives », European Journal of Applied Linguistics Studies - Volume 3, Issue 2, 2021 : 159-177.
Tourneux, Henri. 2011. La transmission des savoirs en Afrique. Savoirs locaux et langues locales pour l'enseignement, Paris, Éditions Karthala.
Troncy, Christel ; Boko-Vou, Expédit ; Udoh Grace. 2023. Sensibiliser les acteurs de l'éducation aux enjeux du plurilinguisme scolaire au Bénin à travers la conception et la diffusion d'un module de formation : acteurs, ajustements, interprétations, SociD, n°8, 2023, université Abomey-Calavy, : 1-39. En ligne : https://lasodyla.uac.bj/about/revue-socid/