Par intervenant > Suso Lopez Javier

Un pavé dans la mare de l'idéologie linguistique dominante au Chili (fin XIXe et débuts du XXe siècle) : Rudolf Lenz et la langue indigène (mapudungun)
Javier Suso Lopez  1@  
1 : Université de Granada

À l'époque d'analyse que nous prenons comme cadre, il n'est plus possible de parler au Chili d' « école coloniale » : cependant, il existe bel et bien un héritage « post-colonial » qui oriente une politique de la langue de la part des autorités intellectuelles criollas (descendants des Espagnols), qui défendent le maintien de la langue standard (l'espagnol) et où se pose la question de la langue indigène (principalement, le mapudungun, la langue du peuple mapuche), de la culture de ce peuple et de son intégration à la nation chilienne. Nous savons tous que les mouvements des idées pénètrent les processus historiques bien au-delà des dates, et que les sciences humaines se caractérisent non pas par un renouveau total des analyses, mais par une interprétation de l'héritage culturel dans de nouvelles réalités socio-économiques, politiques et philosophiques : cette politique de langue doit ainsi beaucoup à la tradition de l'idéologie de la langue normative que représente la Gramática de Bello (1847).

À la fin du siècle, se produit un événement extraordinaire : l'arrivée d'une série de prestigieux professeurs allemands engagés par le gouvernement du Chili – qui avait établi un programme de renouvellement de la production et de la transmission des savoirs –, pour faire partie de l'Instituto Pedagógico (crée en 1889, sous la dépendance directe de l'Université du Chili). Il s'agissait de Rudolf Lenz, Friedrich Hanssen, Friedrich Johow et August Tafelmacher (entre autres) qui venaient s'occuper des cours d'humanités (histoire et géographie, espagnol et latin, anglais et allemand, grec et français) et de sciences (sciences naturelles et mathématiques). Nous allons nous occuper ici uniquement de Rudolf Lenz. Notre communication se propose ainsi de faire connaître l'œuvre de ce linguiste, en tant que « vecteur glottopolitique » (Ennis & Rojas 2020 : 11) dans la circulation et la transformation de savoirs et de représentations idéologiques sur les langues et les habitants au Chili. Ennis & Rojas caractérisent le rôle qu'il a eu comme d'une véritable « fracture linguistico-ideólogique » (ibid.) par rapport à l'état des études linguistiques à l'université du Chili et de l'idéologie de la langue qui y était présente.

Nous examinerons ainsi ses efforts pour l'introduction de la nouvelle science linguistique au Chili, l'importance qu'il y accorde à la phonétique, sa prise en compte la langue indigène mapudungun en montrant sa trace dans la formation de l'espagnol du Chili – ce qui lui permet d'asseoir la thèse de la formation des langues et des peuples par osmose et métissage, qui mérite une profonde opposition des tenants de la philologie espagnole, dont Menéndez Pidal –, son intérêt envers la culture populaire du peuple mapuche – qui marque les débuts de la science ethnologique au Chili –, et envers les créoles sudaméricains (ainsi, le papiamento), sans oublier l'introduction de la méthode directe dans l'enseignement des langues étrangères (dont le français, bien sûr). Face aux rapports d'assimilation qu'entretiennent les divers ordres religieux quant à la langue et le peuple indigène, Lenz établit un nouveau rapport, de complémentarité ou d'intégration dans le respect et l'assomption des identités présentes ce qui permettra un nouveau regard de cette réalité, mais également le rejet des tenants de l'idéologie linguistique officielle.

 

Références bibliographiques

Bello, Andrés (1847). Gramática de la lengua castellana destinada al uso de los americanos. Santiago de Chile : Imprenta del Progreso.

Ennis, Juan Antonio ; Rojas, Dario (2020). « Introducción. Rodolfo Lenz revisitado : un vector glotopolítico en un país en modernización ». Boletín de Filología, Tomo LV, nº 2, 11-32.

Ennis, Juan Antonio (2016). « Rodolfo Lenz : economías de la lengua y políticas de la lingüística «. Boletín de filología, 51(1), 117-145. En ligne : https ://dx.doi.org/10.4067/S0718-93032016000100004

Errington, Joseph (2008). Linguistics in a Colonial World : A Story of Language, Meaning, and Power. Oxford : Blackwell Publishing.

Lenz, Rodolfo (1892). « La fonética ». Anales de la Universidad de Chile 81, 901-924.

-1893b. « Enseñanza de idiomas estranjeros (frances, ingles i alemán) ». Anales de la Universidad de Chile 84, 245-256.

-(1893). « Nacionalidad y lenguaje », Revista Nacional, Segunda serie, XVII, 35-47

-(1894). « Ensayos filolójicos americanos I. Introducción al estudio del lenguaje vulgar de Chile en Anales de la Universidad de Chile ». Anales de la Universidad de Chile 87, 113-132.

-(1898). « Crítica de la Lengua Auca, del señor Raoul de la Grasserie ». Anales de la Universidad de Chile 101, 157-175.

-(1910). Los elementos indios del castellano de Chile. Estudio lingüístico i etnolójico. Primera parte. Diccionario etimolójico de las voces derivadas de lenguas indíjenas americanas. Santiago : Imprenta Cervantes.

-(1912). ¿Para qué estudiamos gramática? Conferencia dada en la Universidad de Chile. Santiago : Imprenta Cervantes.

-(1920). La enseñanza del castellano i la reforma de la gramática. Memoria presentada al honorable Consejo de Instrucción Pública. Santiago. Soc. Imprenta i litografía Universo.

-(1928). El papiamento. La lengua criolla de Curazao. La gramática más sencilla. Santiago : Anales de la Universidad de Chile.

 


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